Web scraping vs Producteur de base de données : un jeu d’équilibriste

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Web scraping vs Producteur de base de données

Bien que le web scraping soit licite,
il est perçu par les éditeurs de base de données comme une atteinte systématique à leurs droits.

Producteur de base de données et droit d'auteur

Le droit du producteur de base de données ne protège pas systématiquement du web scraping. Pas plus que les conditions générales d’utilisation de la base de données.

C’est le sens de la décision (1) rendue par le Tribunal judiciaire de Paris le 21 février 2025. Il retient le caractère licite de l’utilisation avérée du web scraping pour proposer un produit innovant.

Dans cette affaire, la société LeBonCoin reprochait à la société DirectAnnonces la mise en place, « à son insu », d’un système d’extraction systématique de sa base de données. Elle lui reprochait également :

la réutilisation des annonces immobilières publiées sur son site ;
la collecte des coordonnées des annonceurs communiquées à des tiers sur abonnement,

estimant que celle-ci violait son droit sui generis de producteur de base de données.

Une décision attendue

Si le web scraping est, en tant que tel, licite, il est généralement perçu des éditeurs de base de données qui y voient une atteinte systématique à « leurs droits ». La pratique, en développement, a corollairement entrainé la multiplication des actions judiciaires y compris en l’absence de preuve de la qualité revendiquée de « producteur de base de données ». Les décisions récentes ont permis d’éclairer les conditions requises pour justifier d’une telle qualité, emportant, le cas échéant, des condamnations (voir notamment (2) Cass. 1ère civ. du 12-11-2015 n° 14-14.501, (3) Cass. 1ère civ. du 05-10-2022, n° 21-16.307 ou encore (4) TJ Nanterre, n°22/08082, 31-05-2024). 

Or tel n’est pas le cas ici malgré la reconnaissance de l’existence d’investissements substantiels et de la qualité de producteur de base de données du demandeur.

La décision (1) LeBonCoin c/ DirectAnnonces est intéressante en ce qu’au terme d’une motivation particulièrement détaillée, elle reconnaît l’intérêt du web scraping et sa possible prédominance sur le droit du producteur de base de données. Ce procédé était ici primordial pour DirectAnnonces dans la création de son produit qualifié d’innovant par le tribunal.

Des précisions sur l’article L. 341-1 du CPI 

La décision LeBonCoin c/ DirectAnnonces précise les vérifications faites par le juge, notamment au regard de l’article L.341-1 du Code de la propriété intellectuelle (5) relatif au droit du producteur de base de données.

Tout d’abord, la protection implique d’être qualifié de producteur de la base de données identifiée.

Pour rappel, le producteur de la base de données est celui « qui prend l’initiative et le risque des investissements ». Ce dernier se voit alors bénéficiaire de la protection du contenu de la base de données que « lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel ».

Rejet de la présomption de titularité des droits du producteur de la base de données concernée par le web scraping

Aux termes d’une appréciation circonstanciée, le tribunal déclare recevable la demande de la société DirectAnnonces fondée sur sa qualité de producteur de la base de données LeBonCoin.

Sur ce point, il est intéressant – heureux ? – de relever que celui-ci écarte la présomption de titularité invoquée par le demandeur sur le fondement de décisions antérieures.

Ainsi, malgré l’arrêt précédemment rendu par la Cour d’appel de Paris du 2 février 2021 et le rejet du pourvoi par la Cour de cassation (3) ayant retenu cette qualité, le tribunal rappelle que :

• le principe de relativité de la chose jugée empêche le demandeur de revendiquer « un droit définitivement acquis et opposable à tous » ;
la base de données LeBonCoin est en constant renouvellement. Celle-ci étant entièrement modifiée tous les six mois, elle constitue une nouvelle base.

C’est donc aux termes d’une analyse factuelle des pièces produites que le tribunal considère que la société LeBonCoin justifie de la qualité invoquée.

Protection contre le web scraping par le droit sui generis du producteur

Une fois la qualité de producteur reconnue, une autre question se pose. La base de données peut-elle être protégée par le droit sui generis du producteur ? Le producteur doit justifier d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel. Tout cela, dans la constitution, vérification ou présentation du contenu de la base de données.

Pour le tribunal, c’est chose faite pour la société LeBonCoin concernant la base de données LeBonCoin ainsi que concernant la sous-base « immobilier ». Celui-ci déduit le caractère substantiel des investissements de LeBonCoin de son montant global de plusieurs millions d’euros.

Il en va de même pour la sous-base « immobilier » pour laquelle le demandeur justifie de 300 000 euros d’investissement par semestre. Aussi, et même si les annonces immobilières ne représentent que 1,6 % des annonces de LeBonCoin, les investissements associés demeurent substantiels.

Ainsi, LeBonCoin peut revendiquer la protection de l’article L.341-1 du CPI tant sur la base globale que sur la sous-base de données.

L’intérêt de création d’un produit innovant utilisant le web scraping supérieur à l’intérêt du producteur de base de données

Pour apprécier la matérialité des atteintes au droit du producteur de base de données, le tribunal rappelle que, selon le considérant 40 de la directive 96/9 (6), ce droit existe afin « d’assurer la protection d’un investissement dans l’obtention, la vérification ou la présentation du contenu d’une base de données pour la durée limitée du droit ; que cet investissement peut consister dans la mise en œuvre de moyens financiers et/ou d’emploi du temps, d’efforts et d’énergie ».

Cité à de nombreuses reprises, l’arrêt CJUE du 3 juin 2021, C-762/19 (7), dit CV online, sert de fil conducteur à la décision rendue.

La caractérisation des intérêts légitimes en présence à l’aune du web scraping

L’arrêt CJUE du 3 juin 2021, C-762/19 (7), dit CV-Online invite les juridictions à mettre en balance les intérêts légitimes des parties en présence. Pour ce faire, il faut avant tout les caractériser.

D’une part, le principal intérêt légitime est celui du producteur de la base de données identifiée. Celui-ci correspond à l’atteinte potentielle à l’investissement substantiel de la personne ayant constitué la base de données. Cela désigne le risque que le producteur de la base de données ne puisse pas être amorti de ses investissements.
D’autre part, les utilisateurs et les concurrents ont un intérêt légitime à accéder au contenu de la base. Cela leur permet en outre de créer des produits innovants basés sur ces informations. Les faits de web scraping ne sont pas contestés par DirectAnnonces. Son représentant indique qu’un logiciel, appelé « Crawler Immo », extrait les données du site leboncoin.fr plusieurs fois par jour.

L’intérêt légitime de la société LeBonCoin est ainsi caractérisé.

Concernant la société DirectAnnonces, le juge considère qu’elle n’est pas un concurrent de LeBonCoin. En effet, elle « n’est pas un site de petite annonce en ligne ». Pour le juge, c’est un tiers ayant développé un produit fondé sur un web scraping « systématique et répété ».

Le web scraping : l'absence d'atteinte systématique aux droits

Mettant en balance les intérêts légitimes du producteur de base de données et des utilisateurs et des concurrents de ces producteurs au regard de l’atteinte potentielle à l’investissement substantiel de la personne ayant constitué la base de données, le tribunal rejette les demandes formées.

L’outil mis en œuvre et proposé à l’issue de l’opération de web scraping constitue un « service concourant à une meilleure structuration de l’information et à la facilitation de la recherche sur l’internet qui apporte une valeur ajoutée au sens du considérant 47 de la directive 96/9 ».

Faute de démontrer un risque que les investissements de la base de données « leboncoin » ne puissent être amortis du fait de l’activité de la société Directannonces, le droit du producteur de base de données, bien que reconnu, ne peut être opposé pour faire échec aux extractions et réutilisations reprochées.

Ce produit innovant consiste en la compilation en un format unique et vérifié de contenus de différents supports d’annonces immobilières accessibles en ligne. Il permet aussi la mise à dispositions d’outils de recherche, de veille, de tri, de statistiques ou encore de rapprochements. Un abonnement permet d’utiliser ce produit innovant, disponible en ligne ou via une application.

La mise en balance des intérêts légitimes en présence, à l’aune du web scraping

Selon la société LeBonCoin, les extractions et réutilisations effectuées par DirectAnnonces présentaient plusieurs risques. Elles porteraient atteinte à son intérêt légitime d’amortir ses investissements, au sens de la décision CV Online.

Elle reprochait notamment à la société DirectAnnonces :

de la mettre en défaut par rapport à ses pratiques de protection des données personnelles de ses utilisateurs alors qu’elle s’est conformée au Règlement Général sur la Protection des Données, dit « RGPD » (8) ;
de diffuser des annonces sans l’autorisation de leurs auteurs, dégradant ainsi la confiance des annonceurs envers la société LeBonCoin.

Enfin, la société LeBonCoin reprochait à la société DirectAnnonces de détourner sa clientèle de professionnels en leur fournissant les données. Tout cela sans que ces derniers n’aient à se rendre sur le site source leboncoin.fr.

Le juge rejette successivement ces trois griefs :

celui tiré du non-respect du RGPD est démenti par les échanges entre de la société DirectAnnonces avec la Cnil ;
le grief lié à la dégradation de la confiance des annonceurs n’est pas démontré. Aucune baisse du nombre d’annonceurs ni aucune plainte n’a été produite ;
enfin, le grief concernant le détournement de la clientèle professionnelle et la baisse de fréquentation du site n’est pas démontré ; ces professionnels publient toujours leurs annonces sur le site LeBonCoin.

Ainsi, l’activité de pige immobilière de DirectAnnonces ne présente aucun risque démontré. Elle ne porte pas atteinte à l’intérêt légitime de LeBonCoin d’amortir ses investissements, au sens de la décision CV Online.

Faute de démontrer un risque que les investissements de la base de données « leboncoin » ne puissent être amortis du fait de l’activité de la société Directannonces, le droit du producteur de base de données, bien que reconnu, ne peut être opposé pour faire échec aux extractions et réutilisations reprochées.

Ainsi la base de données LeBonCoin et sa sous-base « immobilier » sont protégées par le droit du producteur de base de données, les extractions et réutilisations opérées par DirectAnnonces ne peuvent donner lieu à l’exercice de ce droit.

Concernant les demandes basées sur d'autres fondements

La société LeBonCoin demandait également la condamnation de DirectAnnonces sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Elle formulait enfin une demande plus subsidiaire sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Rejet des demandes fondées sur la responsabilité contractuelle du fait du web scraping

La demande sur le fondement de la responsabilité contractuelle portait sur une atteinte aux conditions générales d’utilisation (CGU).

Cette demande est rejetée par le juge. En effet, l’article 10 des conditions générales d’utilisation du site leboncoin.fr (8) interdit aux utilisateurs de réaliser du web scraping. Cependant, la base LeBonCoin et sa sous-base « immobilier » sont librement accessibles et ne nécessitent aucune inscription, autorisation ou acceptation de conditions contractuelles. De fait, la société DirectAnnonces n’a pas consenti aux conditions générales d’utilisation et n’est donc pas liée contractuellement avec LeBonCoin.

Le juge considère ainsi que les conditions générales d’utilisation du site leboncoin.fr (8) ne permettent pas d’engager la responsabilité contractuelle de la société DirectAnnonces.

Analyse de la prescription de la demande fondée sur la concurrence déloyale

Enfin, la société LeBonCoin invoquait, à titre subsidiaire, des actes de concurrence déloyale. Ces demandes sont également rejetées comme prescrites : l’occasion pour le tribunal d’apporter un éclairage intéressant sur le calcul du point de départ de la prescription suivant la demande formée.

Pour rappel, la prescription est l’« écoulement d’un délai à l’expiration duquel une action judiciaire ne peut plus être exercée » (10). Les actes de concurrence déloyale sont, en l’espèce, soumis à la règle de droit commun selon laquelle, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (11).

Point de départ de la prescription

Après avoir rappelé ce postulat, le tribunal met fin au débat opposant les parties concernant le calcul de ce point de départ.

Il rappelle ainsi que, contrairement à ce que soutiennent les parties :

le point de départ de la prescription de l’action en contrefaçon et de l’action en concurrence déloyale est le jour de la connaissance des faits, même si ceux-ci s’inscrivent dans la durée ;
un ensemble de faits argués de contrefaçon ou de concurrence déloyale ne constitue pas un délit continu dont la prescription ne courrait pas avant leur cessation complète (12).

Il convient donc de déterminer factuellement la date à laquelle le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’engager l’action. Pour ce faire, il convient de revenir à l’origine du différend.

Retour sur les faits

En septembre 2010, la société EAM, alors éditrice du site internet <leboncoin.fr> avait mis en demeure la société Directannonces de cesser toute extraction de sa base de données. Reprenant les actifs de la société EAM en 2011, la société LBC France renouvelait les griefs par une nouvelle mise en demeure en janvier 2012.

Autorisée par ordonnance du 2 juin 2021, LBC France a fait procéder à une saisie contrefaçon dans les locaux de la société Directannonces au mois de juin 2021 avant d’engager son action au fond le 2 juillet suivant.

En l’espèce, le juge retient la prescription de la demande en concurrence déloyale fondée sur « la commercialisation d’un service de pige immobilière reproduisant les annonces de sa base immobilier ». Le tribunal retient qu’il s’agit là d’un seul et même fait dont la connaissance est établie au plus tard le 4 janvier 2012, date de la mise en demeure adressée par la société LBC France à DirectAnnonces.

L’action est, dès lors, prescrite depuis le 4 janvier 2016, quand bien même les faits se poursuivent. Pourquoi une telle solution alors que le juge a examiné l’atteinte aux droits du producteurs de base de données, soumise à la même prescription ?

Le web scraping lui-même

Concernant le web scraping en tant que tel, le tribunal prend en considération la particularité de la base de données. Cette dernière se renouvelle de manière permanente de sorte qu’elle est totalement changée tous les six mois. Le tribunal en déduit que « les faits d’extraction reprochés ne constituent pas un seul et même fait s’inscrivant dans la durée mais la reproduction à des dates différentes d’extractions de contenus différents » : chaque extraction est un fait distinct faisant courir un nouveau délai de prescription.

De fait, la société LBC France est recevable à agir sur le fondement de l’atteinte au droit du producteur de base de données concernant les extractions réalisées depuis moins de cinq ans.

La solution est pointue et il convient, dès lors, d’être particulièrement vigilant dans la détermination des faits poursuivis en fonction des qualifications choisies. Le web scraping n’a pas fini de faire couler de l’encre.

Virginie Brunot

Avocate, Directrice du département Propriété industrielle contentieux

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