
Contrefaçon et concurrence déloyale : cumul sous conditions
Contrefaçon et concurrence déloyale peuvent être caractérisées par un même acte ;
sa réparation est possible dans la limite du préjudice réellement subit.
Par une décision du 26 mars 2025 (1), la Cour de cassation rappelle la possibilité de cumul des actions en cas de contrefaçon et concurrence déloyale, sous réserve que les faits invoqués soient distincts et de l’absence de double indemnisation.
Dans cette affaire, la société Meta – anciennement Facebook – a assigné une société Media Cargo exploitante d’un site de rencontres pour adultes dénommé Fuckbook accessible à partir des noms de domaine <fuckbook.xxx> et <fuckbook.com>.
Propriétaire de plusieurs marques FACEBOOK, Meta fondait son action sur l’atteinte à ses marques renommées, la contrefaçon de marques et la concurrence déloyale.
Un cumul de réparation écarté par principe en première instance…
Par jugement du 6 août 2020 (2), le Tribunal judiciaire de Paris avait, en synthèse, retenu à l’encontre de la société Cargo :
- ► l’atteinte à la renommée des marques FACEBOOK par l’utilisation du signe « Fuckbook » pour enregistrer les noms de domaine <fuckbook.com> et <fuckbook.xxx> donnant accès au site du même nom ;
- ► la contrefaçon par imitation des marques européennes FACEBOOK et de la marque figurative <F> ;
- ► des actes de parasitisme au préjudice de la société Meta alors dénommée Facebook.
Bien que reconnue recevable à agir au titre de l’atteinte à son nom commercial, le tribunal rejette les demandes de la société Facebook faute de justifier de faits distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon : si le cumul d’action en contrefaçon et en concurrence déloyale est possible, le cumul de réparation ne l’est pas.
De même, retenant que la société Facebook ne pouvait prétendre à une double indemnisation, le tribunal rejetait les demandes de réparation au titre de la contrefaçon des marques ayant déjà fait l’objet d’une indemnisation au titre de l’atteinte à la marque de renommée.
Le tribunal condamne ainsi la société Cargo aux sommes de :
- ► 30.000 euros en réparation de l’atteinte à la renommée des marques FACEBOOK ;
- ► 5.000 euros au titre de la contrefaçon de la marque figurative (logotype) ;
- ► 10.000 euros au titre du parasitisme,
et rejette les demandes de réparations au titre de l’atteinte au nom commercial, de la contrefaçon des marques FACEBOOK.
…revu en appel
Les deux parties ont interjeté appel de la décision rendue.
Par arrêt du 28 octobre 2022 (3), la Cour d’appel de Paris confirme partiellement la décision du tribunal.
Admission d’un cumul de réparation entre atteinte à la marque de renommée et contrefaçon
Confirmant la solution de première instance concernant l’atteinte aux marques renommées, la cour revient sur les réparations allouées au titre de la contrefaçon.
En effet, la cour retient que le dommage subi au titre de la contrefaçon est différent de celui résultant de l’atteinte à la renommée desdites marques qui se traduit par un ternissement ou un profit indu.
La cour accorde donc à la société Facebook devenue Méta une réparation complémentaire au titre de la contrefaçon.
Il convient cependant de relever que cette décision est rendue sur la base de textes antérieurs à la réforme du droit des marques. L’évaluation des réparation est donc fondée sur deux textes distincts :
- ► l’article L. 716-14 devenu L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle s’agissant de la réparation des actes de contrefaçon ;
- ► l’ancien L. 713-5 s’agissant de la réparation du préjudice résultant de l’atteinte à la marque de renommée, alors exclue du périmètre de la contrefaçon.
L’atteinte à la marque de renommée étant désormais qualifiée de contrefaçon par l’article L.716-4 du code de la propriété intellectuelle, sa réparation obéit au même régime que la contrefaçon par imitation. Il n’est donc pas certain que la même solution aurait été rendue en application des nouveaux textes.
Exigence de preuve de l’étendue du préjudice
Dans tous les cas, la cour prend soin de rappeler que l’obligation de réparation ne dispense pas le demandeur de rapporter les éléments permettant de procéder à l’évaluation de son préjudice, y compris lorsque la demande est fondée sur une réparation forfaitaire.
Faute de tels éléments, la cour limite le montant de la réparation à la somme globale de 10.000 euros en réparation du préjudice issu de la contrefaçon des trois marques opposées.
La solution est heureuse en ce qu’elle rappelle le principe fondamental selon lequel il appartient au demandeur de démontrer l’étendue du préjudice réellement subi.
L’option de réparation forfaitaire possible en matière de contrefaçon ne fait pas échec à la règle et ne peut affranchir le demandeur de la charge de la preuve qui lui incombe.
Admission d’un cumul de réparation entre contrefaçon et concurrence déloyale
De même, la cour infirme la solution de première instance en ce qu’elle a rejeté les demandes de réparation au titre de l’atteinte au nom commercial et au nom de domaine <Facebook>.
Elle retient que « les atteintes au nom commercial Facebook et au nom de domaine facebook.com constituent des faits distincts de concurrence déloyale, s’agissant de sanctionner un comportement fautif différent occasionnant un préjudice distinct de ceux invoqués au titre de la contrefaçon des marques FACEBOOK ».
Dans ce cadre, la société Facebook devenur Meta se voit allouée la somme de 10 000 euros de réparation.
Considérant que la demande au titre de la concurrence déloyale était fondée sur les mêmes faits que ceux invoqués au titre de la demande de contrefaçon de marques, la société Cargo forme un pourvoi à l’encontre de cette décision.
Un cumul possible dans les limites du principe de réparation intégrale
L’arrêt, rendu le 26 mars 2025, est l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler que les actions en contrefaçon et concurrence déloyale peuvent être exercées cumulativement, sous réserve que les faits invoqués au soutien de chacune de ces actions soient distincts.
La solution n’est pas nouvelle.
Distinction entre l’acte matériel reproché et sa qualification juridique
Mais, de manière assez didactique, l’arrêt énonce qu’un « même acte matériel peut caractériser des faits distincts s’il porte atteinte à des droits de nature différente » et de rappeler les fonctions et régimes juridiques applicables aux signes en présence, à savoir :
- ► que le nom commercial vise à identifier une entreprise,
- ► tandis que le nom de domaine permet l’accès à un site internet.
Ceux-ci se distinguent ainsi « par leur nature, des droits détenus sur une marque ».
Ils s’en distinguent également par le régime de protection et de réparation applicable et l’atteinte à ces signes peut constituer un acte de concurrence déloyale distinct de la contrefaçon de marque.
Rappel du principe de réparation intégrale et prohibition d’une double indemnisation
Cependant, la Cour de cassation rappelle qu’en application du principe de réparation intégrale, un même préjudice ne peut pas faire l’objet d’une double indemnisation.
En conséquence, la victime peut obtenir la réparation du préjudice distinct né de l’atteinte à la distinctivité de ses signes d’identification, comme son nom commercial ou non de domaine, au titre de la concurrence déloyale, à condition que ce préjudice n’est pas fait l’objet d’une réparation au titre de la contrefaçon de marque.
Cette décision, vient confirmer la possibilité de cumuler des actions en contrefaçon et en concurrence déloyale, sous réserve que les faits dont la réparation est demandée soient distincts et dans la limite du principe de réparation intégrale.
De fait, la difficulté pratique réside dans l’évaluation des préjudices subis au titre de l’atteinte à la marque d’une part et au titre des actes déloyaux d’autre part : si les deux types d’atteinte sont réparables, ils ne sauraient aboutir à la multiplication artificielle des demandes de réparation et à l’octroi d’une indemnisation dépassant le préjudice réellement subi.
Cass com, 26-03-2025, n° 23-13.589, Publié au bulletin.
TJ Paris, 06-08-2020, n°16/10973, Legifrance.
CA Paris, 28-10-2022 n° 20/16611, inpi.fr réf. M20220282 ; PIBD 2023, 1195, III-M-5.

Virginie Brunot
Avocate, Directrice du département Propriété industrielle contentieux

Virginie Brunot
Avocate, Directrice du département Propriété industrielle contentieux
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