Interview
M. Jean-Pierre Bigot,
Président de EsaLab (*) et Expert près la Cour d’Appel de Versailles
Un outil détectant les contrefaçons qui permet d’objectiver les conflits…
Pouvez-vous nous présenter l’innovation qui est à la base de la création de votre société ?
Ayant été confronté à des dossiers de contrefaçon de logiciels en tant qu’expert, j’ai fait le constat qu’il y avait une véritable carence d’outils et de méthodes et une vraie difficulté technique pour déterminer les similitudes de formes d’un logiciel. Mon rapprochement avec des chercheurs spécialistes de l’algorithmique du texte et des langages informatiques de l’Institut Gaspard-Monge (laboratoire de recherche universitaire de Marne la Vallée) a alors abouti à la conception et au développement d’une méthodologie et d’un outil, l’atelier logiciel SIMILE, qui permet d’effectuer l’analyse comparative de logiciels. Notre outil peut détecter des similitudes « non fortuites » entre codes source, en procédant à leur analyse selon des procédés que nous avons développés, notamment la comparaison d’empreintes de leurs structures et la détection de chaînes textuelles similaires. L’outil est également capable de détecter certaines similitudes à partir des codes exécutables sans procéder à leur décompilation. Il permet ainsi de dire quel est le pourcentage de code qui a été contrefait, d’identifier et de caractériser les similitudes.Notre innovation a été de réaliser un outil de comparaison conforme à la méthode américaine AFC-test (Abstraction, Filtrage, Comparaison) (**) en la transposant à des outils logiciels. Ainsi EsaLab produit des analyses comparatives scientifiques et objectives par le traitement systématique et exhaustif de codes présentant des volumes et des variétés importants.
Y a-t-il un seuil de préjudices à partir duquel, ce type d’outil s’avère indispensable ?
Je ne suis pas sûr qu’on puisse vraiment raisonner en terme de préjudice car les motivations vont bien au-delà de ces questions dans les affaires de contrefaçon de logiciel. Souvent, ce sont des collaborateurs accusés d’être partis avec le code source et de l’avoir transformé pour créer leur propre activité. Parfois, ce sont des sous-traitants qui s’estiment plagiés. L’affaire est alors vécue comme une véritable trahison qui génère parfois des comportements d’une telle agressivité, d’une telle rancœur entre les parties qu’il devient difficile de diriger le débat contradictoire. Le recours à un tel outil permet alors d’apaiser le conflit en le plaçant sur une base technique objective, comme j’ai pu le constater à plusieurs reprises. Par ailleurs, dans ce type d’affaire, le plaignant a souvent une capacité de nuisances qui va très au-delà des préjudices dont il pourrait obtenir réparation, surtout si le produit en cause a coûté cher et qu’il est installé en de multiples exemplaires. L’outil permet de répondre au souhait des parties d’une expertise rapide face aux conséquences commerciales qu’ils subissent.
Avez-vous le sentiment que cela peut faire évoluer le comportement des parties ?
Oui, cela peut amener les parties plus facilement vers la négociation. Notre outil permet en effet d’établir objectivement la présence – ou l’absence – de similitudes, de les qualifier et de les quantifier par une méthode et un outil de comparaison systématique. Cela permet alors aux parties de négocier en toute connaissance de cause.
(*) Créée fin 2004, Esalab (European Software Analysis Laboratory) bénéficie du soutien de l’ANVAR et de la Région Ile-de-France et a le statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI). www.esalab.com
(**)La Cour d’appel du 2ème circuit fédéral a eut recours à cette méthode en 1992, dans l’affaire Computer Associate v. Altai, en rendant un jugement qui s’est fondé sur le rapport d’expertise du professeur qui avait élaboré la méthode. Elle fait jurisprudence devant les cours fédérales américaines.
Interview réalisée par Isabelle Pottier, avocat.
Parue dans la JTIT n°54-55/2006 p.10