
« L’Intelligence artificielle au service de la justice », est un rapport stratégique publié par la Cour de cassation le 28 avril 2025,
dans un contexte juridique où les contentieux deviennent de plus en plus complexes et face à une croissance importante du volume de dossiers à traiter.
Ce document marque le lancement d’une réflexion approfondie sur l’intégration d’outils d’intelligence artificielle (IA) au sein de ces services. Dès le départ, la Cour précise que son objectif n’est pas de déléguer ou remplacer les juges par des systèmes automatisés, mais bien de s’ancrer dans la rigueur juridique et déontologique avec une transformation raisonnée.


L’Intelligence artificielle au service de la justice
Cour de cassation : l’intelligence artificielle au service de la justice
Une démarche au service de l’efficacité, sans concession sur l’essence juridictionnelle
Tout d’abord, l’initiative de ce rapport s’appuie sur un groupe de travail pluridisciplinaires, composé de magistrats, de greffiers, d’ingénieurs en science des données. Cette collaboration réunit une « association étroite de juristes et des scientifiques ». Par ailleurs, pour élaborer le rapport, la Cour a aussi coopéré avec le SDER (Services de Documentation, des Études et du Rapport) et son laboratoire d’innovation. Ce partenariat a apporté un point de vue techniciste sur l’Intelligence Artificielle.
Ensuite, ce collectif a bâti une méthodologie rigoureuse, s’articulant autour de comparaisons internationales, d’auditions externes, d’une évaluation constante des biais, des risques et de l’explicabilité des outils d’IA adaptés et envisagés.
Un rapport stratégique de la Cour de cassation
Cour de cassation : l’intelligence artificielle au service de la justice
Une infrastructure numérique à refonder : vers Nomos 2
A ce titre, le rapport pointe l’obsolescence critique de certains outils existants, en particulier l’application Nomos et le logiciel d’édition Corel WordPerfect. L’infrastructure automatique anonymisait automatiquement les décisions grâce à l’IA. L’infrastructure aidait également à orienter les mémoires et de classer automatiquement les demandes de réexamen vers les chambres compétentes.
C’est pourquoi le rapport annonce le développement d’une deuxième version plus élaborée, et renforçant l’interopérabilité : Nomos 2. La nouvelle version permet, par exemple, l’interfaçage avec de nombreuses applications spécialisées (recherche de jurisprudence, gestion des échanges avec les avocats, publication Open Data). L’ancienne infrastructure ne permettait pas cette interopérabilité. En clair, le nouveau système Nomos 2 permettra l’intégration ou l’interopérabilité des futurs outils, avec des bases de données structurées et annotées.




Un cadre d’évaluation structuré
Cour de cassation : l’intelligence artificielle au service de la justice
Les cinq principes du rapport sur « L’Intelligence artificielle au service de la justice »
En parallèle, le rapport consacre un développement majeur à la notion de « principes directeurs » dans la mise en œuvre des SIA. Le rapport structure ces principes autour de cinq catégories de critères : éthiques, juridiques, fonctionnels, techniques et économiques. Ce cadre vise à évaluer les projets, mais aussi à définir les prérequis sans lesquels aucun déploiement ne saurait être envisagé.
Les critères éthiques tiennent une place centrale dans le rapport, en imposant une compatibilité avec les droits fondamentaux, la non-discrimination, la transparence, l’explicabilité des systèmes, ainsi que la maîtrise humaine du processus décisionnel. A cet égard, le groupe rappelle l’importance de la Charte éthique de la CEPEJ (Conseil de l’Europe) adoptée en 2018, qui fait figure de référence applicable malgré les progrès technologiques récents. Le critère éthique constitue en conséquence un filtre inévitable pour toute utilisation des SIA par la Haute-Juridiction.
Gouvernance et formation
Cour de cassation : l’intelligence artificielle au service de la justice
Gouvernance et formation : des leviers pour la réussite
De plus, la Cour insiste sur la nécessité d’une structure de gouvernance pérenne. Afin de mettre en œuvre une évaluation des outils d’IA « de bout en bout », la Cour propose notamment un comité de suivi du développement des SIA, composé entre autres de magistrats et de scientifiques du laboratoire d’innovation du SDER. La Cour envisage également de mettre en place un comité consultatif d’éthique pour les SIA judiciaires.
En parallèle, le rapport insiste sur l’importance d’une acculturation progressive des utilisateurs, notamment les magistrats et agents du greffe, aux logiques et usages de l’Intelligence artificielle. Sans l’apprentissage de ces enseignements, les magistrats et greffiers risquent de devenir de simples usagers passifs. Le rapport préconise ainsi une formation spécifique, accompagnée d’un guide de bonnes pratiques ou d’une charte éthique interne.
En outre, le projet d’intégration des systèmes d’Intelligence artificielle à la Cour de cassation démontre une volonté d’équilibre entre innovation et adaptation technologique et rigueur institutionnelle, priorisant les enjeux éthiques dans son approche. Ce projet pourrait servir de modèle pour les autres juridictions françaises. L’idée n’est donc pas de limiter cet usage et ces propositions à la seule Cour de cassation, mais bien de l’étendre dans un plus large spectre aux autres juridictions.


Avec la collaboration de Marcel Logak, étudiant en droit en Master 1 « Droit de l’intelligence artificielle » à l’Institut catholique de Paris.

Virginie Bensoussan-Brulé
Avocate, Directrice du pôle Contentieux du numérique

Virginie Bensoussan-Brulé
Avocate, Directrice du pôle Contentieux du numérique
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