
Dès lors qu’une contribution humaine substantielle peut être démontrée, la demande de protection par le droit d’auteur est recevable.
Le 30 janvier 2025, l’USCO, Bureau américain du droit d’auteur, a enregistré une œuvre assistée par intelligence artificielle générative[1]. Par cette décision inédite, la possibilité d’une protection par le droit d’auteur est reconnue dès lors qu’une contribution humaine substantielle peut être démontrée.


Une œuvre générée par IA enregistrée aux États-Unis
une œuvre nécessite une contribution humaine substantielle
Le cas A Single Piece of American Cheese
L’œuvre intitulée A Single Piece of American Cheese, générée à l’aide du système d’intelligence artificielle générative Invoke AI, a été enregistrée le 30 janvier 2025, après un premier refus opposé en 2024.
Il a été admis que la sélection, la coordination et l’agencement des composantes de l’image composite relevaient de l’apport créatif de son auteur, à l’exclusion des segments individuels générés par l’intelligence artificielle, étant rappelé que l’IA ne peut se substituer à la créativité humaine (sufficient human authorship) et constituer un créateur autonome.
Cette reconnaissance s’appuie sur la documentation fournie par l’auteur, détaillant les choix artistiques et techniques de composition et les conditions d’usage de l’IA comme assistant collaboratif.
Le créateur a affirmé[2] avoir « sélectionné, coordonné et agencé de nombreux fragments d’images générées par l’IA en une seule image unifiée », par conséquent, A Single Piece of American Cheese est un collage numérique. Il est constitué d’éléments générés ensuite réunis par intervention humaine, laquelle est considérée comme substantielle. Ainsi, seule l’image finale a été jugée protégeable à l’exclusion de ses composantes prises isolément.
Cette décision marque donc un tournant : l’examen de la contribution humaine substantielle et la documentation de la création deviennent centraux.




Reconnaissance d’un seuil décisif de contribution humaine
une œuvre nécessite une contribution humaine substantielle
Le rôle déterminant de la décision humaine dans le processus créatif a été confirmé comme condition essentielle à la protection des œuvres générées par intelligence artificielle.
Cette exigence, déjà invoquée dans l’affaire du Théâtre d’opéra spatial de Jason Allen (2022), n’avait pas été satisfaite à l’époque : les invites textuelles utilisées dans Midjourney avaient été considérées comme ne constituant pas une contribution humaine suffisante au regard des critères fixés par le Bureau du droit d’auteur.
Il est toutefois admis qu’un seuil de créativité humaine doit être franchi pour qu’une œuvre d’art générée par IA puisse être reconnue comme œuvre de l’esprit au sens du droit d’auteur : le système d’intelligence artificielle doit être un outil (création assistée par l’IA).
Dans le cas de A Single Piece of American Cheese, ce seuil a été jugé atteint. Le bureau a considéré que l’image « contient une quantité suffisante de paternité humaine originale dans la sélection, l’agencement et la coordination du matériel généré par l’IA qui peut être protégé par le droit d’auteur ».
Le processus de création a été documenté de manière précise.
La première image, obtenue par une invite demandant « du verre fracturé, des visages de facettes, un motif surréaliste de coups de pinceau émaillés, des cheveux en nouilles spaghetti » ne représentait pas l’œuvre aboutie. L’image obtenue avec deux yeux au lieu de trois et pas de fromage a été modifiée par l’auteur. L’auteur a étendu la tête et le cou ainsi que l’arrière-plan qu’il a peint avec un processus d’inpainting. De nouveaux éléments ont ainsi été générés dont l’ajout du fromage. Avec l’aide de l’IA, il a ensuite modifié les cheveux, ajouté un troisième œil et modifié manuellement des cils à la structure osseuse du visage.
Ces interventions successives ont été considérées comme relevant d’un processus artistique substantiel, répondant au critère d’originalité exigé.




Vers une jurisprudence internationale encadrant la création assistée par IA
une œuvre nécessite une contribution humaine substantielle
Seules les créations comportant une intervention créative humaine identifiable, comme la modification, la retouche ou la recomposition, peuvent prétendre à une protection au titre des droits d’auteur ou du copyright.
A l’inverse, les contenus intégralement générés par IA sans contrôle ou direction humaine restent exclus du champ de cette protection.
C’est à ce titre que les illustrations de la bande dessinée Zarya of the Dawn ou de l’image A Recent Entrance to Paradise continueraient à être exclues, conformément aux nouvelles lignes directrices du bureau américain du droit d’auteur.
Devant d’autres juridictions, une approche similaire a été adoptée.
En Chine, le juge retient également comme critère central l’existence d’apports créatifs humains[3]. Dans l’affaire Le Vent Printanier[4], la protection n’a été accordée qu’en raison d’un investissement intellectuel, tandis que les productions intégralement issues d’IA en sont systématiquement écartées[5].
Au Canada, l’œuvre Suryast a été enregistrée auprès de l’Office de propriété intellectuelle du Canada (OPIC). Cet enregistrement accordé à une image inspirée de La Nuit étoilée de Van Gogh mentionne un être humain et une IA coauteurs. Toutefois, une demande de radiation a été déposée en juin 2024 auprès de la Cour fédérale du Canada par la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada (CIPPIC).
Deux arguments ont été avancés : d’une part, le manque d’originalité résultant de la simplicité de script dénué de jugement ou de compétence humaine ; d’autre part, le fait que la législation canadienne attribue la titularité de l’œuvre à une personne physique.
Aux Etats-Unis, une demande d’enregistrement similaire pour cette œuvre a été rejetée en raison de l’absence de contrôle humain suffisant sur l’œuvre.


Affaire Cœur à Cœur, Yue 0305 Min chu 14010, Tribunal judiciaire de Nanshan à Shenzhen : L’ensemble des choix effectués par le demandeur, la sélection des données, le traitement du format, la définition des critères, le choix du mode de structure de l’article… constituaient des choix personnalisés et organisés par le demandeur.
Affaire Le Vent Printanier Beijing Internet Court Civil Judgment (2023) Beijing 0491 Republic of China No. 11279.
Jing 73 Min Zhong 2030, Cour de propriété intellectuelle de Pékin.
Avec la collaboration de Cléo Carraz, stagiaire, étudiante en Master 2 Droit du patrimoine culturel.

Marie Soulez
Avocate, Directrice du département Propriété intellectuelle Contentieux

Marie Soulez
Avocate, Directrice du département Propriété intellectuelle Contentieux
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