La difficile protection des bases de données
Paru dans les Echos le 12 mai 2005
Laurence Tellier-Loniewski (*)
La cour d’appel de Versailles a rendu une décision remarquée en refusant d’accorder au producteur d’une base de données le bénéfice de la protection légale.
Face au constat de l’inefficacité du droit d’auteur classique pour lutter contre le pillage des données informationnelles, la nécessité de protéger l’industrie de l’information a conduit au renforcement des dispositifs juridiques. C’est ainsi que la France s’est dotée, en 1998, d’une loi instaurant un droit dit « sui generis », ou « droit du producteur des bases de données », qui permet de sanctionner les extractions non autorisées de données lorsqu’elles ont un caractère « substantiel », lequel peut être apprécié de façon quantitative (volume des extractions par rapport au contenu) ou qualitative (données à caractère stratégique).
La seule condition posée par le Code de la propriété intellectuelle pour bénéficier de cette protection est de justifier d’un « investissement substantiel », financier, matériel ou humain, dans la réalisation ou la vérification de la base. Les tribunaux ont fait une application abondante de cette loi en n’hésitant pas à prononcer des condamnations exemplaires. La décision de Versailles marque une rupture avec cette jurisprudence bienveillante pour les producteurs.
Le cas soumis à la cour d’appel de Versailles (1), qui y a répondu par un arrêt du 18 novembre 2004, intéresse un site Internet créé par un informaticien malgache résidant en France. En déplacement à Madagascar, il avait confié à un ami le soin d’animer et de mettre à jour le site en son absence. A cet effet, il lui avait communiqué les codes d’accès à la base de données de textes et d’images diffusée sur le site. Mais l’homme de confiance ferma le site et en ouvrit un nouveau à son nom, sur lequel il transféra la base. De retour, l’informaticien spolié avait demandé justice, faisant valoir l’atteinte portée à son droit de producteur de base de données. Si, dans un premier temps, le tribunal correctionnel de Nanterre lui avait donné raison, la cour d’appel de Versailles a tranché différemment. Selon elle, le producteur d’une base de données mise en ligne sur un site Web ne peut prétendre au bénéfice de la protection légale s’il n’a pas préalablement interdit l’extraction du contenu de sa base : une négligence qui valut même à l’informaticien malgache une condamnation pour procédure abusive.
La décision s’appuie sur l’exégèse du texte de loi, qui définit le droit du producteur comme « le droit d’interdire les extractions ». L’interdiction n’étant qu’une faculté, il appartient à qui entend s’en prévaloir au plan pénal d’avoir fait connaître expressément au préalable sa volonté de s’opposer aux extractions incriminées. Pour logique et conforme aux principes d’interprétation stricte en droit pénal qu’il soit, ce raisonnement ouvre des abîmes de réflexion.
Des mesures préventives
Les formules « droit d’interdire » ou « droit d’autoriser », issues de la culture juridique anglo-saxonne et introduites dans notre droit à l’occasion de la transposition des directives européennes, ne correspondent pas à notre approche du droit d’auteur, qui s’acquiert par principe de manière automatique, sans formalisme aucun.
Exiger une manifestation expresse de volonté ne revient-il pas à ajouter aux conditions légales ? Il est permis de s’interroger sur l’extension possible de cette solution aux autres créations intellectuelles. Les logiciels, dont la loi dit que l’auteur a le « droit d’autoriser » (et non d’interdire) l’exploitation, devraient logiquement être épargnés. Mais qu’en sera-t-il des autres créations intellectuelles, sachant que la directive sur les droits d’auteur, en cours de transposition, vise aussi bien le « droit d’autoriser » que le « droit d’interdire » ?
S’il est difficile pour l’heure d’apprécier la portée de cette décision, contre laquelle un pourvoi en cassation a été formé, la prudence commande de prendre des mesures préventives en faisant notamment figurer des mentions d’interdiction sur tout support de diffusion, papier ou électronique. Dans le cas des bases de données diffusées en ligne, l’avertissement doit apparaître avant tout accès aux données. Les professionnels seront attentifs aux évolutions d’une jurisprudence qui, si elle n’est pas isolée, marquera un tournant dans la propriété intellectuelle.
(*) Avocat, Directeur du pôle propriété intellectuelle
« Laurence Tellier-Loniewski »
Avocat – Directeur du pôle propriété intellectuelle
laurence-tellier-loniewski@lexing.law