Le 10 juillet 2000, la France adoptait une nouvelle réglementation sur » la vente volontaire de meubles aux enchères publiques » qui, à titre principal, mettait fin au monopole des commissaires priseurs. A l’occasion de l’adoption de cette loi, un débat s’est instauré à propos des sites de ventes aux enchères, tels qu’ils fleurissaient alors sur internet. Aujourd’hui, le débat risque de nouveau d’être ouvert à propos des » biens culturels » vendus sur internet.
Ne souhaitant pas freiner le développement du commerce électronique, à l’époque en grande partie sous-tendu par ce type de services en ligne, le législateur avait jugé opportun d’exclure du champ d’application de la loi du 10 juillet 2000 les » opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique « . Derrière ce mot, quelque peu barbare, on pouvait facilement identifier des services en ligne, comme iBazar, QXL, Yahoo enchères, Aucland ou encore eBay,, qui n’avaient d’enchères que le nom, puisqu’ils proposaient en réalité de simples services techniques, permettant à des internautes de vendre ou d’acheter des produits d’occasion sur internet. A la différence de la vente aux enchères publiques, l’opération dite de » courtage aux enchères réalisée à distance par voie électronique » se caractérise par l’absence d’adjudication et l’absence d’intervention d’un tiers dans la conclusion de la vente d’un bien entre les parties. Dès lors, la majorité des sites dits d’enchères se voyaient échapper aux contraintes de la réglementation sur la vente volontaire de meubles aux enchères et, de fait, au contrôle du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. L’article 3 de cette même loi, aujourd’hui codifié à l’article L321-3 du code de commerce, prévoit cependant une exception à l’exception, en ce que les opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique portant sur des » biens culturels » restent, pour leur part, pleinement soumises aux dispositions de la loi. Ceci signifie que même les sites de courtage aux enchères ne peuvent vendre ce type de biens sur leur site. Il n’en fallait pas moins pour que le débat s’enclenche quant à la notion même de » biens culturels « .
Le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, instauré par cette même loi, a publié un avis, au titre duquel il entend modifier la définition actuelle des » biens culturels « . Jusqu’ici, cette définition provenait du décret n°93-124 du 29 janvier 1993 relatif aux biens culturels soumis à certaines restrictions de circulation (modifié par décret n°2001-894 du 26 septembre 2001). Ce décret comportait, essentiellement, une liste des » catégories » de biens culturels et affectait certaines d’entre elles de seuils correspondant à leur valeur marchande. Ainsi, à titre d’exemple, sont considérés comme des objets culturels, les objets archéologiques ayant plus de 100 ans d’âge provenant de fouilles, de découvertes terrestres et sous-marines, sites archéologiques, collections archéologiques, quelle que soit la valeur de l’objet, fut-elle nulle, alors que les tableaux et peintures sont généralement considérés comme des biens culturels, s’ils ont plus de 50 ans d’âge et ont une valeur supérieure à 150 000 €. A priori, l’avis que vient de rendre le Conseil des ventes se veut être une simplification, puisqu’il viserait, tout en maintenant une définition des biens culturels par catégorie, à considérer que toutes les catégories identifiées seraient des » biens culturels « , dès lors que leur ancienneté serait supérieure à 150 ans, à l’exception des photographies, films et autres vidéogrammes réalisés par tous procédés techniques, qui eux seraient considérés comme des biens culturels, à compter d’une ancienneté supérieure à 75 ans.
Rapporté à l’exception prévue par l’article L321-3 alinéa 3 du code de commerce, pour les sites de courtage aux enchères, cet avis n’est pas sans poser deux problèmes d’importance. En supprimant de la qualification de » bien culturel » toute référence à la valeur marchande des objets, le Conseil des ventes fait entrer dans le champ de la protection des » biens culturel » un grand nombre d’objets d’apparence anodine. Par ailleurs, le Conseil propose que soient aussi considérées comme des » biens culturels » toutes les catégories identifiées, quelle que soit leur ancienneté (même inférieure à 150 ou à 75 ans), dès lors que ces biens portent la signature d’un auteur ou artiste ou la marque d’un fabricant ou encore peuvent être attribués avec certitude à un auteur, un artiste ou un fabricant et qu’un bien émanant du même auteur, artiste ou fabricant, a déjà fait l’objet d’une vente aux enchères publique en salle avec catalogue.
Dans la mesure où le principe même de fonctionnement des sites dits de ventes aux enchères est de permettre aux particuliers principalement de vendre au mieux disant leurs biens d’occasion et qu’à ce titre ils s’abstiennent de toute intervention directe, tant dans la vente que dans le choix ou la description de l’objet qui est proposé à la vente, cet avis semble incompatible avec la réalité de cette catégorie de service en ligne. De par ce rôle purement technique, il apparaît donc totalement impossible de pouvoir répondre avec certitude à une obligation qui leur incomberait, de pouvoir identifier si tel ou tel bien vendu au sein de leur service comporterait ou non la signature d’un auteur, d’un artiste ou une marque de fabrique ou aurait même, ce qui est encore plus difficile, fait l’objet d’une vente aux enchères publiques en salle avec catalogue. De fait, les exploitants de sites d’enchères n’auraient d’autre choix, à titre préventif, que d’obtenir un agrément du Conseil des ventes et d’appliquer intégralement les dispositions de la loi. Or cette conséquence est d’importance, car elle s’oppose à la décision, prise par le législateur en 2000, de faire en sorte, à l’inverse, que les sites de courtage aux enchères puissent ne pas être astreints aux obligations de la loi.
Dans la mesure où la conséquence d’un tel avis pourrait sonner le glas de l’exception prévue à l’article L321-3 du code de commerce, pour ce qui concerne le cadre juridique applicable aux sites de ventes aux enchères, on ne peut que s’interroger sur le fait de savoir si, en dehors d’en apprécier l’opportunité, cette démarche ne devrait pas relever du pouvoir législatif et non de celui du Conseil des ventes aux enchères. Il faut, enfin, constater que l’objectif poursuivi par le législateur, en créant l’exception à l’exception s’agissant des » biens culturels « , était de veiller à préserver le patrimoine français contre d’éventuelles fuites à l’étranger. Or, sur ce point, rien ne démontre que les sites d’enchères soient à l’origine ou même facilitent une telle fuite. La mesure apparaît donc sans fondement réel et induira, sans doute, plus de conséquences dommageables qu’elle n’atteindra le but affiché.
Lexing Alain Bensoussan Avocats
Département Internet et Télécoms
« Biens culturels interdits d’enchères sur Internet. Mais qu’est-ce qu’un bien culturel ? », article paru dans les Echos le 7-4-2003.