L’un des objectifs de la révision en 2009 du « paquet télécom » est de permettre une évolution des procédures applicables en matière de gestion du spectre radioélectrique, en particulier afin de renforcer la mise en œuvre des principes de neutralité technologique, d’une part, et de neutralité des services, d’autre part.
Ainsi, l’article 9 de la directive « cadre » modifiée (1) dispose que les Etats veillent à ce que puissent être utilisés dans les bandes de fréquences disponibles pour les services de communications électroniques :
- tous les types de technologies ;
- tous les types de services de communications électroniques.
Ce même article prévoit que les Etats peuvent permettre aux titulaires d’autorisations individuelles d’utilisation de fréquences, pendant un délai de cinq ans à compter du 25 mai 2011, de demander le réexamen de leurs autorisations en vue de la suppression des restrictions aux principes de neutralité que ces autorisations pourraient éventuellement engendrer.
C’est sur ce fondement que, par une décision du 14 mars 2013 (2), l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a fait droit à la demande de « refarming » (3) présentée par la société Bouygues Telecom.
Cette demande portait sur la levée, à compter du 1er octobre 2013, des restrictions technologiques concernant l’autorisation d’utilisation de fréquences à un réseau exploitant la norme GSM dans la bande 1800 MHz qui avait initialement été attribuée à la société Bouygues Télécom pour un usage limité à la 2G et dont ladite société considérait que les fréquences concernées pouvaient parfaitement convenir à un déploiement de son réseau 4G.
Ainsi, la société Bouygues Télécom pourrait réutiliser les infrastructures passives déjà déployées pour son réseau 2G et bénéficier du meilleur taux de couverture offert par l’usage de fréquences dans la bande des 1800 MHz par rapport aux fréquences remportées aux enchères par les autres opérateurs mobiles français pour leurs propres réseaux 4G.
Cette décision n’est pas neutre, sans mauvais jeu de mots, au regard des principes encadrant, jusqu’à présent, la gestion du spectre radioélectrique.
Sans doute est-il nécessaire d’améliorer la flexibilité dans la gestion du spectre et de réduire les entraves à une gestion dynamique des fréquences en Europe, pour éviter une forme de sédimentation des usages, des services et des technologies, au bénéfice exclusif des opérateurs en place.
Mais, en cas d’excès, il est à parier qu’une politique d’assouplissement de la gestion du spectre risque de soulever des difficultés, notamment pour les acteurs de l’audiovisuel dont la puissance financière n’est pas toujours comparable à celle des acteurs des télécommunications.
En effet, à proprement parler, la neutralité de services signifie qu’une bande de fréquences doit pouvoir accueillir tout type de service de communications électroniques.
Or, la définition des services de communications électroniques, qui figure à l’article 2 de la directive « cadre », inclut tous les services fournis sur des réseaux de communications électroniques, y compris les services de transmission sur les réseaux utilisés pour la radiodiffusion.
La neutralité de services vise donc à ce que, sur un réseau de communications électroniques donné, puisse être offerte la plus large palette de services de communications électroniques possible : voix, internet, vidéo, etc.
Certes, des restrictions à ce principe sont prévues (4), mais la neutralité ne manquera pas d’entraîner pour le modèle français de régulation de l’audiovisuel (fondé sur l’attribution de fréquences en échange d’obligations qui participent de la réalisation d’objectifs d’intérêt général) des conséquences qui, si elles n’étaient pas pleinement mesurées dans leur application, d’ici seulement cinq ans, aux fréquences déjà attribuées, pourraient être très importantes.
En effet, il s’agit de permettre que les fréquences soient attribuées, non pour des usages prédéterminés, mais à des opérateurs, qui doivent ensuite être libres d’en faire l’usage de leur choix, qu’il s’agisse de besoins en matière de services audiovisuels ou de services de télécommunications.
Aussi, afin de ne pas porter atteinte à la sécurité juridique des acteurs et, partant, de décourager les investissements, la mise en œuvre de la neutralité technologique et de services doit elle être mesurée et guidée par deux soucis :
- assurer l’équilibre entre les principes actuels de gestion du spectre et les nouveaux principes de neutralité technologique et de services ;
- prendre en considération les contraintes, non seulement nationales, mais également internationales, qui découlent des conférences mondiales des radiocommunications (lesquelles, rappelons-le, continuent d’affecter certaines bandes de fréquences à certains usages, bravant en cela le principe de neutralité).
Frédéric Forster
(1) Directive n° 2002/21/CE du 7-3-2002 consolidée au 19-12-2009.
(2) Arcep décision 2013-0363 du 14-3-2013
(3) C’est-à-dire l’utilisation en 4G de la bande 1 800 MHz actuellement réservée à la 2G.
(4) Par exemple, les radios (telle que la FM) n’ont pas le droit de fournir des services de télévision ou de données.